La Question Arménienne aujourd’hui. II – 1

La Question Arménienne aujourd’hui. II – 1

Un peu moins percutant que dans la première partie, Armen Ayvazyan fait des remarques intéressantes et une critique généralement fondée de la présentation des revendications par les Arméniens (quand les Arméniens prennent la peine de le faire). Son développement sur les spécificités du Génocide arménien est judicieux et important. Il trouve des arguments pour faire considérer la République d’Arménie comme seul interlocuteur (exit la diaspora) de la Turquie en particulier sur les questions des compensations ( article 3 de la Convention sur le Génocide adoptée par les Naions Uniele 9 décembre 1948). Enfin, prenant le contrepied de la position de la diplomatie arménienne, il démontre qu’il y a bien un lien entre le Génocide arménien et le conflit du Karabagh et que c’est l’intérêt des Arméniens de le réaffirmer sur la scène internationale.

GB

Publié le 22 janvier 2011

Mis en ligne dans Armenian Resistance, Analysis, Armenia @en, Geographie

par Armen Ayvazian

Le dossier juridique international de la Question arménienne se compose de :

1. Le Génocide Arménien de 1893-1923 La reconnaissance du Génocide arménien conduira à des résultats tangibles pour l’Arménie seulement s’il est sous forme d’acte légalement contraignant, et pas seulement une déclaration politique, comme cela a été le cas dans une grande majorité des cas des résolutions parlementaires et déclarations dans plus de 25 pays autour du monde. De telles reconnaissances déclaratives n’ont même pas débouché sur le moindre changement politique de la part des pays ayant reconnu eu égard aux problèmes aigus de sécurité posés à l’Arménie ; tandis que seuls ces résultats pourraient être les plus utiles, précisément parce que c’est le Génocide qui a apporté devant l’Arménie moderne les cauchemars de sa sécurité. Ainsi par exemple, l’Italie, le Canada, la Pologne, la Belgique et les Pays-Bas ont reconnu le Génocide, mais aucun signe positif n’a été noté dans les politiques suivies par ces pays à l’égard du conflit entre l’Arménie, la Turquie, l’Azerbaïdjan et le Nagorno-Karabagh. De plus, le changement de la situation géopolitique a conduit à une dévaluation de facto des résolutions parlementaires de quelques pays sur le Génocide arménien. Par exemple, en 2008, la place principale de Tripoli, la deuxième ville du Liban, a été renommée en l’honneur du principal architecte du premier acte du Génocide, le “sultan rouge” Abdul Hamid II, en dépit du fait que le Parlement du Liban a reconnu le Génocide deux fois- en 1997 et en 2000. Un jour prochain, à présent, le maire de la cité grecque de Thessalonique projette d’ériger un monument en l’honneur des dirigeants Jeunes Turcs, natifs de la ville, et les résolutions reconnaissant le Génocide adoptées par le Parlement grec en 1996 et par le Parlement de l’Union européenne (dont la Grèce fait partie) en 1087 et 2002, ne peut pas arrêter cette intention blasphématoire. Un autre exemple : même après la résolution de 1998 du Parlement Français sur le Génocide arménien, pendant des années, la semi-officielle Agence France Presse (AFP) continuait de parler du génocide au conditionnel (la situation n’a été corrigée qu’il y a un ou deux ans). Le Parlement suédois a changé deux fois de position par rapport au Génocide arménien. Ainsi, les résolutions parlementaires, tout comme les déclarations par les chefs d’état sur le Génocide arménien, même si elles sont importantes, sont improductives et ne sont pas fiables (la multitude d’erreurs factuelles que ces résolutions et déclarations comportent constituent un tout autre sujet de discussion), parce qu’elles sont constamment sujettes à des manipulations politiques et marchandages. En fait, le cas du Génocide arménien de 1893-1923 est sous l’empire de la juridiction des cours nationales et internationales et fait partie de leurs prérogatives, en particulier -la Cour Internationale de Justice ou à un tribunal spécialement créé pour le Génocide arménien comme les tribunaux pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie. Cependant, à partir de 1970, ce cas a été inclus dans l’agenda des débats parlementaires (et donc devenu exposé à la controverse) dans plusieurs pays et étant resté en dehors de tout contrôle effectif des parties intéressées, c’est à dire les Arméniens et l’Arménie, s’est souvent transformé en un instrument pour aider ces pays étrangers pour résoudre leurs propres problèmes avec la Turquie au détriment du Génocide arménien. (Un exemple saisissant de ce phénomène honteux sont les violations écœurantes des présidents américains de leurs promesses de campagne de reconnaître le Génocide arménien). Les reconnaissances internationales du Génocide arménien sous la forme de résolutions parlementaires, de décisions ou de déclarations sont ainsi de nos jours clairement anachroniques. Depuis le moment où l’Arménie est devenu un état indépendant, au plus tard, la question de compenser les conséquences du Génocide arménien (et non pas seulement sa reconnaissance) aurait dû avoir été soulevée concurremment sous la forme de procès dans les cours nationales et internationales et les structures moins exposées au marchandage politique international. Devant une cour internationale, l’Arménie demandera des compensations morales et culturelles, des réparations matérielles et financières, ainsi que des restitutions de terres à la Turquie. L’affaire peut être examiné par référence à la ’Convention sur la Prévention et la Punition du Crime de Génocide” (ci-après, la Convention), adoptée par l’Assemblée Générale des Nations-Unies le 9 décembre 1948, et aussi à d’autres actes du droit international. En particulier, en tant que signataire de la Convention depuis le 23 juin 1993, la République d’Arménie a le droit exclusif d’invoquer l’article VIII de la Convention contre la Turquie (signataire depuis le 31 juillet 1950). Il dispose que toute partie contractante peut saisir les organes compétents de l’ONU pour toute action qu’elle considère appropriée pour la “suppression” du génocide. Des juristes internationaux respectés, le Professeur Alfred de Zayas en particulier, soutient que “suppression”doit signifier plus que la simple justice rétributive. Dans le but de supprimer le crime, il est nécessaire de supprimer, autant que cela est possible, ses conséquences. Avec la punition du coupable, cela suppose restitution et compensation aux générations survivantes.” Cela veut dire que ces mesures pourraient aussi comprendre des compensations sous la forme de concessions territoriales. La République d’Arménie peut demander aussi l’application de l’article IX de la Convention, qui stipule : “Les conflits entre les Parties Contractantes relatives à l’interprétation, l’application ou le respect de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un Etat dans un génocide ou l’un quelconque des actes énumérés à l’article 3, seront soumis à la Cour Internationale de Justice à la demande de l’une quelconque des parties au conflit.” A cet égard, il est utile de noter que dans l’article II de la Convention précédemment citée, le concept et le terme génocide étaient formulés par le célèbre juriste Raphaël Lemkin, qui basa sa définition, particulièrement et spécialement, sur la réalité historique du Génocide arménien. De plus, Raphaël Lemkin en réfère directement au Génocide arménien dans le Rapport Préparatoire, qui est une partie intégrante de la Convention. Le 9 mars 2007, cette référence même a suffi à un tribunal de la ville de Lausanne, en Suisse, pour déclarer qu’il n’y avait pas besoin pour la reconnaissance du Génocide arménien d’une décision de la Cour Internationale de Justice, dans la mesure où la Convention fait une référence directe au Génocide arménien. Le tribunal de Lausanne a insisté sur la démonstration qui est faite par cette référence que le Génocide arménien n’est plus sujet à controverse, dans la mesure ou il a été implicitement, sinon explicitement, et internationalement reconnu en une base qui fonde un acte légal international. En conséquence, la cour a condamné Dogu Perincek, le président du Parti des Travailleurs de Turquie, à 90 jours-amende avec sursis et à 3 000 francs suisses pour la négation du Génocide arménien. En outre, voyant les choses formellement, on peut dire qu’ayant signé la Convention le 13 juillet 1950, la Turquie a elle-même implicitement reconnu le Génocide arménien. Un autre domaine du droit international dans lequel l’Arménie et les Arméniens devraient s’efforcer d’intervenir est celui de la pénalisation de la négation, de la mise en doute ou de la minimisation du fait du Génocide arménien dans les législations et par des procès dans divers pays. Malheureusement, de ce pont de vue, la législation est très mauvaise en République d’Arménie même. S’agissant de soulever le problème du Génocide arménien dans les parlements de pays étrangers ou d’autres forums internationaux non juridiques, l’échéance est passée depuis longtemps pour l’Arménie et les Arméniens d’aborder de telles résolutions conformément à leur propres critères, qui devraient correspondre aux faits historiques et à la fois aux intérêts nationaux et de l’état d’Arménie (il n’y a pas de contradiction entre les deux, malgré des années d’efforts pour nous dérouter et entretenir la confusion sur cette importante question ! ).

Nous proposons les cinq critères qui suivent pour une caractérisation :

- Indication précise de la période sur laquelle le Génocide arménien a été commis : depuis 1893 jusqu’à 1923 ;
- Nécessité de déclarer le fait que les Arméniens ont été anéantis dans leur propre patrie, principalement dans la partie ouest de l’Arménie et en quelques lieux de l’Arménie de l’est ;

- Une claire désignation de l’état qui a commis ce crime contre l’humanité – la Turquie ottomane, ainsi qu’une condamnation directe de son successeur – la République de Turquie, pour la négation du Génocide arménien et sa politique hostile envers l’Arménie d’aujourd’hui (blocus terrestre, propagande anti-arménienne et guerre psychologique, refus d’établir des relations diplomatiques, assistance militaire à l’Azerbaïdjan, etc…) ;

- Reconnaissance de la responsabilité de l’état turc en face de l’état arménien en tant qu’expression ultime et représentant des intérêts du peuple arménien, et acceptation de compensations à l’Arménie comme une nécessité absolue (appliquée principalement à des compensations territoriales) ;

- Liens inévitables entre les conséquences du Génocide et la situation géopolitique actuelle de la Région. En d’autres termes, reconnaissance de l’impact négatif du Génocide arménien sur la sécurité de l’Arménie et dans la région. Cela a une importance primordiale : jusqu’à quel point ces résolutions améliorent-elles les problèmes de sécurité de l’Arménie les plus graves et garantissent-elles la sécurité de l’Arménie ?

Le Génocide arménien a créé un problème territorial et existentiel problème pour la survie du peuple arménien, réduisant leur espace vital à une bande de terre dangereusement exposée, marginale et vulnérable. C’est précisément de ce point de vue que nous devrions envisager à la fois la libération de l’Artsakh (grâce auquel l’Arménie a acquis des frontières défendables – à l’est – et la profondeur stratégique nécessaire au minimum) et la garantie assurée du développement des Arméniens du Djavakhk. La tâche de la diplomatie arménienne est de lier adroitement la condamnation internationale du Génocide arménien à une juste solution du conflit du Karabagh et à l’établissement d’une paix durable dans la région. Reconnaissant le Génocide arménien, la communauté internationale doit franchir la prochaine étape logique ; reconnaître les droits des Arméniens sur tout le territoire de l’Artsakh, y compris les territoires libérés. Les critères ci-dessus relatifs à la responsabilité et aux compensations n’ont été repris dans aucune des résolutions adoptées par des entités juridiques internationales. Et comment auraient-ils pu l’être, quand la République d’Arménie elle-même ne s’est jamais attachée à ce travail, n’a jamais développé un tel programme et, naturellement, n’a jamais avancé de revendications convenablement étayées.

à suivre : l’Église dans la question Arménienne

1ère partie ICI

Armen AYVAZYAN, Docteur en Sciences Politiques

Cet article est paru en Arménien et en Russe dans l’hebdomadaire “Sobesednik Armenii/Hayastani Zrutsakits” weekly (Yerevan), #45 (163), 23 décembre 2010

vendredi 4 février 2011,

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