Armen Ayvazyan: «Au bout des protocoles, c’est la colonisation de l’Arménie»

Armen Ayvazyan: «Au bout des protocoles, c’est la colonisation de l’Arménie»

Source: France-Arménie, No. 353 (1-15 janver 2010), p. 13.

Après le rejet de la plainte déposée par le Centre d’études stratégiques Ararat (CESA) contre le directeur de l’Institut du Caucase, Alexandre Iskandaryan, pour négation du Génocide arménien (cf. FA n° 352, p. 10), France-Arménie a demandé au directeur du CESA, Armen Ayvazyan, d’expliquer les enjeux de cette affaire.

France-Arménie : Pourquoi le tribunal a-t-il rejeté la plainte ? Quel rôle ont joué les autorités arméniennes ? Qu’envisagez-vous de faire ?

Armen Ayvazyan : C’est une décision politique. Après avoir accepté la plainte, la rejeter immédiatement est un non sens juridique par laquelle la juge, Kariné Pétrossian, a privé le Centre d’études stratégiques Ararat de la possibilité de se défendre. Il est évident que la juge a reçu des directives de la part des autorités arméniennes. Après la signature officielle des protocoles, le 10 octobre 2009, des conditions favorables ont été créées pour sacrifier l’un après l’autre les intérêts de la République d’Arménie et ceux du peuple arménien. Le processus arméno-turc actuel vise à la capitulation complète de l’Arménie et à sa colonisation. Pour cela, ils commencent à offenser la dignité nationale des Arméniens avec pour but de détruire puis de refondre le système de valeurs, afin d’introduire à la place une identité de peuple soumis.
La décision prise par le juge, le 4 décembre 2009, est la première étape du processus de colonisation de l’Arménie par les Turcs. En recevant l’ordre des autorités arméniennes, la juge a créé un précédent : désormais, n’importe qui peut publier une littérature ou propager un discours négationniste. Cependant, nous n’avons ni la volonté, ni le droit de capituler ; nous allons lutter et nous gagnerons. Et en dépit du rejet de la plainte, nous avons mis à jour des problèmes importants : a) ce jugement a révélé les opérations négationnistes qui se réalisent avec l’appui des pouvoirs exécutifs et juridiques arméniens ; b) une fois de plus, on a pu diagnostiquer la capitulation et la faillite totale de la politique d’Erévan sur la Turquie et la Cause arménienne ; c) l’annonce par les autorités arméniennes qu’elles oeuvreront pour la reconnaissance et la condamnation internationale du Génocide arménien s’est avérée un mensonge. Ceci veut dire que les autorités arméniennes ont révisé de leur propre chef les documents fondamentaux de notre république (la déclaration d’indépendance de l’Arménie et la Constitution), en essayant de les falsifier selon leurs intérêts.
Nous allons saisir à présent la Cour de Cassation, et si elle rejette notre plainte, nous porterons l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme. D’ailleurs, Aybars Gyurgyurlu, dont l’article négationniste avait été publié par l’Institut du Caucase, s’est exprimé le 17 décembre à Erévan, une nouvelle fois à l’invitation d’Alexandre Iskandaryan et avec le soutien des autorités.

F.A. : Dans ce procès, bénéficiez-vous du soutien des organisations politiques et sociales, et spécialement de l’opposition comme la FRA ou le Parti Héritage ?

A.A. : Le profond désespoir et l’état psychique de la population d’Arménie, ainsi que la déchirure au sein de la sphère politique ont conduit à une anesthésie générale très dangereuse. Partant de là, je ne m’attendais pas à être assisté. En plus, la société subit un blocus de l’information : 80% de la population reçoit son information d’une télévision sous la surveillance des autorités. La presse, aussi, est surveillée. Seulement 6% de la population utilise Internet, soit trois à quatre fois moins que nos voisins azéris et géorgiens. Je suis convaincu que ce retard honteux est délibéré, et qu’il a pour but de priver la population, dans les situations décisives, de l’information alternative.
Etonnamment, ni la FRA ni surtout le bureau de la Cause arménienne ne se sont intéressés à cette affaire. Il est décevant de constater que la télé Yerkir media, qui appartient au Dachnaktsoutioun, ne nous ait pas donné l’occasion, ne serait-ce qu’une fois, d’expliquer aux téléspectateurs la signification de cette plainte. Pire encore, Yerkir Media, qui n’a pas traité l’information a invité, le 4 décembre dernier, Iskandaryan en personne pour semer une fois de plus la confusion chez les téléspectateurs. Les organisations et les partis diasporiques ne se sont pas prononcés. La presse arménienne anglophone garde un silence affligeant. Pourtant, la signification et les conséquences de cette affaire sont plus importantes que la déclaration d’un membre du Congrès américain sur le Génocide arménien. Le Parti Héritage et les autres formations qui ne sont pas représentés au Parlement ne se sont pas non plus prononcés. Mais Alexandre Iskandaryan est aussi l’homme du pouvoir, il ne faut donc guère s’étonner. Car au final, le président arménien coopère aussi avec les dirigeants négationnistes turcs, les nommant « braves collègues ».

F.A. : Est-il vrai qu’en Arménie, il n’existe pas de loi pour traîner Iskandaryan devant un tribunal ?

A.A. : L’article 397.1 du Code pénal arménien pénalise « la négation du Génocide, sa relativisation et sa justification ». Il fallait que le Procureur général de la République porte plainte lui-même contre Iskandaryan. Notre plainte est basée sur la Constitution, les normes juridiques internationales acceptées par la République d’Arménie et la pratique judiciaire internationale, qui suffisent pour satisfaire nos demandes. Il s’agit de l’article du Code civil arménien correspondant à la protection de l’honneur et de la dignité, mais aussi de la responsabilité prévue pour la diffusion d’une désinformation, la violation des fondements de la sécurité nationale et la mise en œuvre des actions que supposent les conventions signées par l’Arménie pour prévenir et sanctionner la négation du Génocide.

F.A. : Ce n’est pas la première fois qu’Iskandarian tient des propos contre les intérêts arméniens. Dans un article publié à Moscou, il avait écrit : « Jusqu’au Génocide, les terres de l’Arménie occidentale ont été habitées par les Arméniens, mais ce n’est pas la patrie historique des Arméniens. » Il n’a même pas voulu s’exprimer en arménien, pendant une conférence de presse à Erévan. Qui est vraiment Iskandarian et quel but recherche-t-il ?

A.A. : Alexandre Iskandarian coopère intensément avec les négationnistes du Génocide des Arméniens. Il diffuse leurs idées et falsifie l’Histoire arménienne. Si l’Etat et la société arménienne n’arrivent pas à sanctionner juridiquement et moralement ce type d’individus, ces derniers pourront continuer à causer de sérieux préjudices.

Propos recueillis et traduits de l’arménien
par Arminé Adjamian

This post is also available in: ,